Traversée vers les Açores

15 juillet 2016

La traversée vers les Açores
Nous quittons Baiona, toutes affaires prêtes vers 18h le mercredi au moteur. Nous rencontrons le vent au bout d'une heure et la Gazelle s'élance au galop pour 24h à 8 nœuds de moyenne.

Photos de Baiona

Jeudi soir c'est plus calme et l'horizon est dégagé pour un feu d'artifice
Le geste naturel du peintre...d'immenses et magnifiques peintures s'écrivent en blanc sur fond bleu. Quel plus grand maître du pinceau mérite cette phrase, que le vent ? L'eau, et le soleil qui l'évapore, fabriquent l'encre et la brise dessine des arabesques d'une finesse et d'une subtilité magique. Des points, des lignes, des lettres de calligraphie, des formes de toutes sortes avec des reliefs et des détails infiniment précis. Là, une longue grue, ailes déployées, couve du regard ses trois petits qui jouent à s'attraper. Ici l' immense plume d'un écrivain cosmique. Ailleurs un poisson avale du plancton. Beaucoup d'ailes, des anges , un chamois ailé. Et quand à l'Ouest le soir s'en mêle, des drapés soyeux et scintillants rouges, oranges, ocres et dorés flamboient sous nos yeux ébahis.La grue ramène ses pattes sous elle, les petits s'allongent dans l'azur. A l'Est les mousselines délicates des danseuses rosissent en face de la grande barbe de Dieu qui étend les bras sur le monde. Un coup d'ongle blanc dans la tenture, la lune renaît. La mer elle même taffetas cinabre froissé se pare des couleurs du couchant. Quand l'Est s'éteint, l'ouest jette encore des flammes lumineuses. La grue se fond dans l'atmosphère. Du tulle rouge orange incandescent coiffé d'un voile de crêpe grise habille l'épousée de Jacques Brel promise à la nuit, la lune est témoin. A 50 Miles de la côte espagnole il n'y a plus personne. Passés les rails montant et descendant des cargos, l'immensité bleue est désertée par le monde humain. Semble désertée même par toute vie organique. Pendant trois jours, nous n'avons pas vu d'animal aquatique, seulement trois ou quatre goélands égarés. Nous sommes entre mer et ciel et soleil. Éléments eau, air et feu. La vie ici est dans ses formes originelles, dépouillées. La lumière, le feu, les photons, les électrons. On rencontre presque les seigneurs atomes : l'hydrogène, l'oxygène, l'azote et le carbone. Ces 4 là indépendants sont la vie inorganique ...Et leurs associations avec l'aide de l'électricité et de l'énergie , vont faire l'eau (H2O), l'air, et leurs combinaisons infinies produisent toutes les vies organiques grâce au petit laboratoire qu'est l'ADN ! Bien sûr il y a aussi l'iode, ...etc

Vendredi 8 juillet soir, on est parti depuis trois jours, on dirait beaucoup plus et en même temps ça passe très vite. Les 24 premières heures bon vent portant, même fort... Ça fait drôle de penser qu'on va être tout seul sur la mer loin de toute côte pendant 6 à 7 jours et nuits...un peu stressant ...Les 24 h suivantes sont calmes moitié voile moitié moteur. Grand ciel bleu, du bleu partout. A midi délicieux bain dans une eau bleu roi, ce bleu profond partout quand on ouvre les yeux sous l'eau? On ne voit ça que à partir des profondeurs de 2000 m. On s'amarine au grand large, loin de nos repères habituels, pas de communications, pas de terre ferme, pas de sorties, l'espace est immense autour mais on reste sur le bateau ... Nos corps en tout cas, heureusement on peut voyager en esprit et surtout méditer. Je crois que c'est le plus important, méditer pour trouver la connexion intérieure avec l'environnement, la subtile continuité entre lui et nous. Contempler et méditer sur la houle... Cette onde qui passe et transporte une information sans déplacement d'eau jusqu'au bout de la mer. Retour d'un petit vent de nord ouest, la Gazelle avance bien au près. Il fait beau. Nous avons reçu un SMS par l'Iridium, le téléphone satellite, de la petite famille en voiture pour le mariage d'un ami, tout va bien.Nous pensons à Amadeus et son équipage: Jean Baptiste, Gaud et Jonathan. Leur traversée vers les îles ioniennes en Grèce, trois jours et nuits de navigation. Nous leur avons envoyé un petit mail avec l'iridium, nous aurons peut-être une réponse ce soir ! Je ne sais pas ce que font Héloïse, et Ulysse ce we ? Ici le temps s'arrête, on ne vit que le jour présent et la nuit la veille qu'il faut assurer...On a une petite joie au cœur quand même en pensant à l'arrivée. Il y a des matins où le peintre a tendu un grand drapé gris sur le ciel. Parfois ce rideau reste tiré toute la journée même l'aube ne l'émeut pas ! Mais ce matin le soleil soulève la tenture à l'horizon pour pouvoir passer la tête et partout ailleurs le tissu se fendille et laisse passer la clarté et le ciel. Le jour se lève et la toile s'illumine. Aquarelle de tendres gris de plus en plus dilués, le berger céleste a sorti son troupeau, les moutons blancs s'égayent dans l'espace .Le plus étonnant et impressionnant la nuit en mer, c'est de foncer dans le noir. Quand il n'y a pas de lune on ne voit rien, et la sensation de foncer dans le noir est bizarre pour nous qui avons tant besoin de voir! On scrute la nuit...mais même lorsque les yeux sont habitués à l'obscurité on ne voit pas grand chose et c'est un peu angoissant de laisser le bateau filer dans le noir. On fonce dans le noir, mais c'est " comme si" on savait que la gazelle, elle, elle voit. Elle avance sans hésiter, elle fend les flots en soulevant une gerbe joyeuse. Elle parle avec la mer et la mer, elle, se voit, se sait, et lui dit qu'elle peut y aller en confiance. On dirait qu'il y a une connaissance quantique entre les deux. Cette espèce de connaissance qu'ont entre elles les particules sub-atomiques. C'est à Heligoland, "terre sacrée", ilôt refuge des fous de bassans, où nous avons fait une superbe escale en septembre dernier, que Werner Heisenberg a pu élaborer les " superbes équations de la mécanique des matrices quantiques" et découvre que " à notre niveau d'existence le plus élémentaire, les particules subatomiques ne sont pas vraiment une chose définissable, et ne restent pas les mêmes à tout moment. Elles échangent continuellement de l'information avec leur environnement, interagissent par les particules quantiques temporaires ou virtuelles qui sont des petits amas d'énergie en lien avec le " champ environnant" . Ces particules subatomiques vues de près ressemblent à une petite coalescence d'énergie, une bouffée de vide vibratoire non agglutinée " ...Que c'est joliment dit en plus ! Donc le bateau et la mer s'échangent des bouffées d'énergie-information...Merci à eux ! Et aussi aux dauphins, hier par exemple un banc a croisé notre route à 90° et quelques éclaireurs sont venus échanger un brin de causette avec le nez de la Gazelle et peut-être se concerter avec elle sur la situation, eux qui connaissent intimement l'océan. Nous traversons la mer Planicie Abisal Iberica, univers aquatique rond et bleu, on se croirait sur une planète d'eau.Dimanche 10 juillet, après une journée plutôt toute grise, ciel plombé, mer métallique à perte de vue ...le vent passe enfin au nord et nous pouvons faire cap sur Saô Miguel la plus grande île des Açores et la première sur notre route car la plus au nord est . Nous approchons et passons sous la barre des 300 miles. Puis le vent tombe le ciel se dégage complètement, Michel a fait une bonne sieste et nous stoppons le bateau pour un bon bain dans ce grand bleu, l'eau est délicieuse, tendre et douce ...réénergisante, de quoi donner envie de préparer une bonne tarte à la crème de courgettes et au basilic ...du jardin de Maman à Arcachon, merci à Béné de me les avoir donnés.Ce soir au coucher du soleil, le Faucon Millenium l'avion de Han Solo décolle éclatant de lumière au dessus de la bande sombre qui bouche l'horizon et rejoint des nuées frangées d'or blanc, d'or rouge et d'or jaune ... Notre Gazelle d'or s'incline.Lundi, belle journée ensoleillée, nous la passons sur le gaillard d'avant ! Il y a une bonne brise qui fait avancer la Gazelle au cap, et nous profitons du soleil et de la mer calme pour lire ... Michel dévore littéralement "Magellan " de Stéphan Zweig, ça doit lui plaire et il est détendu, c'est rare qu'il passe une 1/2 journée à lire ! Moi je dévore " La grande mutation" revue donnée par un portugais de Lisbonne à Guillaume lors de son premier passage aux Açores à Saô Miguel en 2003 je pense ou 2004 ? Il l'a rencontré aux bains chauds de Furnas ...En fin d'après midi on profite d'un moment où le vent mollit un peu pour stopper le bateau et se baigner... L'un après l'autre pour qu'il y ait toujours quelqu'un à bord à 200 miles de toute côte c'est mieux ! Et on envoie toujours un pare-battage à traîner derrière avec un bout' auquel se tenir. Toujours très bon et nettoyant énergétiquement ! Même quand le ciel est gris, la mer, sous la surface, est de ce bleu profond et pieux, la piété, nous dit Héraclite, est "de pouvoir tout regarder d'un esprit que rien ne trouble" Ensuite on se douche sur la jupe arrière. Puis un nouveau soir, le sixième, à ne voir que ce disque ardoisé qui à chaque fois m'évoque la Genèse, Premier récit de la création :Chapitre 1, "l'Esprit de Dieu (ou un "Vent de Dieu"la bible de Jerusalem ) planait sur les eaux ..."Que la Lumière soit", ...., jour, nuit, " il y eu un soir , il y eut un matin, " ..." Qu'il y ait un firmament et au milieu des eaux qu'il sépare les eaux au dessus du firmament d'avec les eaux sous le firmament..."Pourquoi y a-t-il souvent une bande nuageuse à l'horizon au moment du coucher du soleil ? J'ai l'impression que c'est beaucoup plus souvent qu'il y a 20 ans ? Il reste à parcourir 170miles. Et la lune est là. Depuis trois nuits elle est plus haut dans le ciel et bientôt à la moitié de sa surface elle éclaire la mer chaque nuit un peu plus et un peu plus longtemps. Ce matin mardi 12 en me levant pour mon quart, à 6h normalement mais souvent Michel ne me réveille pas et il est 6h1/2 ou 7h, même si ici ça fait 5h, j'étais un peu dépitée par la bande nuageuse qui barrait l'horizon pour le 4 ème matin consécutif. Les levers de soleil en mer sont une des grandes joies. Je me laissais glisser avec la Gazelle dans une rêverie pastelle et paisible quand un rougeoiement décidé a zébré le ciel ...magique comme certaine cape de dompteur, une petite flaque sanguine se répand à l'est et lentement l'astre pointe, brève apparition qui s'éclipse aussitôt derrière la masse opaque. Mais il est là et l'âme s'affole, son désir grandit et quand un peu plus haut des filaments d'or bordent tous les buissons gris les rendants ardents et que de longues îles argentées s'entourent d'un halo arc en ciel, l'extase a lieu, orgasme de l'âme, silence ! ... Puis le regard se perd dans le bleu infini qui s'est installé au dessus de lui.

Il' n'ya pas d'autre adultère dit Denis Vasse que celui de la créature qui oublie son créateur ... On peut le dire autrement : il n'y a pas d'autre schizophrènie que celle de l'être qui se croit séparé de sa source. Pas d'autre mort que celle que nous nous infligeons à nous même en étant divisé et en projetant sur la moitié séparée nos peurs et nos destructions, car nous sommes tous schizophrènes par rapport à la Source, or nous sommes nous aussi la Source, nous sommes le Père !
Spalding:" Toute séparation est un postulat individuel. Nous ne pouvons réellement être séparé du Tout! car nous avons été créés en son sein, nous en faisons partie et nous sommes semblables à lui.... Les séparations disparaissent lorsque notre sens de l'amour s'éveille. (...). On obtient l'illumination en écoutant les réalités les plus profondes de son propre être ...cf " la petite voix " de Eileen Caddy ou " cette partie la plus profonde en moi que j'appelle Dieu " de Etty Hillesum . Etty qui nous dit aussi " la houle de mon cœur s'est faite plus large! "On a jamais fini d'apprendre qu'on peut toujours aimer... Quand rien ne va, quand c'est difficile , quand on a rien à faire , on peut toujours aimer . Le plus dur c'est d'y penser ça se fait en y pensant . Y penser c'est comme ouvrir un robinet au dessus de sa tête et l'amour s'écoule en nous .. Aimer c'est un état intérieur, il n'y a rien d'autre à faire

Belle journée ensoleillée, délicieux bain à 14h, après midi sieste, lecture, gâteau aux noix, crumble aux oignons ...Ce soir un cargo nous croise et après, venait elle de son pont ou a-t-elle volé sur 100 miles depuis l'île, une tourterelle fatiguée s'agite autour du bateau, je lui dis de venir se reposer sur le bateau... Et elle finira par se poser sur une filière à l'avant lorsque nous rentrons dans la cabine car la nuit amène avec elle des nuages et une pluie fine... Bon on en avait pas eu depuis le départ c'est à dire presque 3 semaines ... On ne va rien dire ! La tourterelle est blottie sur la filière au vent, bonne nuit, reste avec nous jusqu'en vue des terres demain matin . Une tourterelle en pleine mer, c'est la 1 ère fois que nous voyons ça ! C'est quand même étonnant ! Le seul cas que nous connaissons par ailleurs et que ça nous évoque instantanément ... C'est Noé sur son arche qui a vu arriver une colombe venue lui annoncer la terre et la réconciliation Qu'est venue nous dire cette tourterelle ? Bien sûr que la terre est proche mais quand même à 100 miles des terres Açoriennes ! On est touché par le message de paix qu'elle symbolise. Elle est restée toute la nuit sur la filière et repartie ce matin vers 6h30 ...bon vol, "tu en as pour 3-4 heures pour atteindre Saô Miguel "

Il y a du mystère dans l'air. Les Açores sont masqués derrière un voile gris. La mer est à nouveau un grand disque métallique
Entre le bleu et le gris...le vert me manque un peu, heureusement j'ai eu les roses de ma mère et ma sœur délicieusement parfumées pendant une semaine et mes branches rutilantes de menthe et de basilic qui prospèrent dans leur petit pot d'eau. Puis soudain surgit de la brume de chaleur un long museau allongé qui vient boire la mer et ensuite un dos immense . Le relief est élevé ! Île volcanique ...on arrive dans un minuscule port comme on les aime on est tout seul au quai tout neuf auquel les habitants hyper accueillants nous invitent, ravis qu'il serve !

Posté par athenanoc à 00:17 - Commentaires […] - Permalien [#]